Auteur : FURUKAWA Hideo
Traduction : Patrick Honnoré
Titre original : Utamachi yo, Soredemo hikari wa muku de
Éditeur : Philippe Picquier
Parution japonaise : 2011
Parution française : 2018 (première édition 2012)
ISBN : 2-8097-1375-6
Prix : 7,50€
La quatrième :
Ecrit un mois à peine après le séisme et la catastrophe nucléaire qui ont dévasté en 2011 le Nord-Est du Japon, ce livre est l’incandescente mise à l’épreuve de l’écriture face au réel et confirme avec éclat Furukawa Hideo comme l’un des écrivains les plus passionnants de sa génération.
Furukawa Hideo est né à Fukushima, mais il n’était pas là au moment de la catastrophe, il ne l’a pas ressentie dans sa chair. Devant les images des médias, le choc le plonge dans une sensation d’irréalité, où l’avant et l’après sont indiscernables.
Il décide de partir à Fukushima, pour s’irradier de réel. Bilan de ses années d’écriture, journal d’un voyage aux rives du désastre, tentative de vivre, d’écrire et de penser l’indicible, ce texte déroutant, poignant est aussi une ode à ces chevaux rescapés du tsunami, rendus à la liberté et à la solitude, dont le besoin de consolation, comme celui de leurs frères humains, est impossible à apaiser.
Mon avis :
Originaire de Fukushima, FURUKAWA Hideo est touché au plus profond de son âme par les événements du 11 mars. Région qu’il avait quitté de bon cœur, il n’était pas dans les environs quand la nature s’est déchaînée. Mais voilà, chaque image qu’il voit défiler sur les écrans, le mur d’eau du tsunami, les plaines dévastées, la centrale dont l’état ne fait que s’aggraver, tout le bouleverse et le coupe du monde. Il parle de kamikakushi, d’enlèvement par les dieux. Le temps n’existe plus. L’espace ne semble pas plus consistant.
Il était à Kyoto pour faire des recherches pour son roman. Il suspend tout. Tout perd sens. Il doit se rendre sur place. Il se mets en tête de partir, puis part, avec trois de ses éditeurs, dans une petite voiture immatriculée à Kashiwa.
Commence alors toute une réflexion sur son métier, sur le rapport au monde et au réel quand se produit ce genre d’événement. Il veut se confronter, non, s’irradier de ce qu’il se passe sur place. Les maisons rasées, les animaux errants, les supermarchés de Soma, les routes, les rizières, le rivage… et la vie qui continue, impassible.
La fiction rejoint peu à peu le réel : quand le temps est suspendu, tout est possible. Le voilà sur les routes accompagné d’un personnage issu de ses romans, qui lui explique de manière magistrale qu’elle a été l’influence de la domestication des chevaux sur le monde et le Japon. Il change sont angle d’approche. C’est là l’essence du discours : glisser, changer son point de vue, son angle d’attaque, transformer le discours officiel et le dépasser, le passer à la lumière d’autres vérités. Et petit à petit, c’est la fiction qui amène l’auteur à comprendre où l’affranchi l’emmène. Je ne vous en dis pas plus, car la démonstration est absolument fabuleuse, surprenante et donne toute son épaisseur à cet titre cryptique.
Puis retour au réel, où l’auteur reprend place dans le temps, mais toujours en décalé. Oui, le 11 avril, il y a eu des émissions « Un mois après le tremblement de terre », mais pas le 11 mai, alors que lui termine son manuscrit. Il se trouvait trop rapide pourtant mais il faudra faire l’inverse, aller à contre-courant du monde. Ralentir et graver, prendre le temps, lui donner de l’épaisseur, voyager dans ses plis, ses méandres, ses espaces cachés.
C’est un deuil. Un choc, un affrontement, une réalisation, la résilience.
Parce qu’on a bien le droit d’être nés, non ?
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